Philippe Nozières
Philippe Nozières (1932 – 2022) était un physicien français de réputation internationale, qui a consacré l’essentiel de sa carrière à l’étude théorique de la matière condensée, et qui a apporté des contributions pionnières à la compréhension des systèmes comportant un grand nombre de particules en interaction.
Présentation
L’Académie des sciences l’a qualifié de « géant de la théorie des phénomènes collectifs en physique ». Il a reçu de nombreux prix, dont le prix Wolf de physique (1985), souvent considéré comme la récompense la plus prestigieuse dans ce domaine après le prix Nobel, et dont il fut le premier lauréat français.
La physique de la matière condensée est une branche de la physique qui s’est développée à partir des années 1930 en s’appuyant sur les concepts de la mécanique quantique formalisés peu auparavant. Son objectif est d’expliquer les propriétés des solides et des liquides à partir de celles des atomes qui les constituent. Prenons un volume de métal de 1 cm3 contenant de l’ordre de 10 puissance 23 atomes, : toute description précise d’un tel système macroscopique est impossible, même avec les ordinateurs actuels les plus puissants. De plus, dans un métal, les électrons des couches externes des atomes circulent librement et interagissent entre eux. Il faut donc recourir à des approximations et à des méthodes statistiques. C’est à la résolution de ce problème, appelé « problème à N-corps », que Philippe Nozières (avec le physicien américain David Pines) a apporté au début de sa carrière une contribution majeure et décisive, qui est devenue la base de notre compréhension quantitative des métaux. Il a étendu ces recherches aux liquides quantiques à très basses températures, tel l’hélium superfluide. Ces travaux se sont traduits par la publication d’un livre, Theory of quantum liquids, qui est devenu un classique.
L’œuvre scientifique de Philippe Nozières est considérable. Il apporte des contributions déterminantes à de nombreux autres sujets. Par exemple, en 1980, avec André Blandin, il donne une discussion complète du comportement des impuretés magnétiques dans un métal. Il travaille également sur le mouvement brownien (mouvement aléatoire d’une particule dans un liquide), la transition métal-isolant, l’origine du champ magnétique terrestre, la croissance cristalline, le frottement solide…, sujets qui ont d’importantes applications pratiques.
Ancien élève de l’École normale supérieure, Philippe Nozières obtient l’agrégation de sciences physiques en 1955. Puis il part aux États-Unis à l’Université de Princeton, où il acquiert rapidement une réputation internationale. Il est nommé professeur à l’université de Paris, puis il s’établit en 1972 à l’Institut Laue-Langevin, un centre de recherche international situé à Grenoble. Il y dirige jusqu’en 2000 le groupe de physique théorique, où il attire un grand nombre de postdoctorants et de visiteurs scientifiques de toutes nationalités. Il entre à l’Académie des sciences en 1981 et à l’American Academy of Arts and Sciences en 1992. En 1983, il est nommé professeur au Collège de France, où il est titulaire de la chaire de physique statistique, une discipline qui « veut expliquer le comportement global de la matière…, établir un pont entre deux domaines apparemment disjoints [les physiques microscopique et macroscopique]. »
Philippe Nozières était animé de convictions fortes. Président de la Société Française de Physique en 1984, il constate que les chercheurs dans les différentes branches de la physique (optique, physique nucléaire, astrophysique, physique des solides…) ne communiquent plus guère entre eux et déclare : « [Cette spécialisation outrancière] est la négation même du métier de chercheur, dont la curiosité et l’imagination doivent toujours être en éveil… ».
Enfin, président du conseil d’administration des Éditions de Physique, il a joué un rôle clé dans la création en 1986 de la revue Europhysics Letters, fusion des journaux de lettres* français, italien et allemand.
*Une lettre est un article scientifique court portant sur un résultat récent et important qui doit être publié rapidement.
Crédit photo : © C. Kuhn CNRS Photothèque